La souffrance est la porte d’entrée menant à la psychothérapie. Elle peut prendre des formes diverses en s’exprimant psychiquement, corporellement (symptôme sans cause médicale) ou même organiquement (maladie avec cause médicale).
Cette distinction, mise en évidence par le docteur Fernando de Amorim, psychanalyste, entre souffrance psychique, souffrance corporelle et maladie organique est, d’un point de vue clinique, tout à fait fondamentale[1]. Elle permet au clinicien de repérer le champ dans lequel le symptôme se déploie ainsi que la dynamique libidinale à l’œuvre au sein de l’appareil psychique. Ce repérage clinique lui permet ainsi de déterminer ce qui relève ou non de sa compétence, donc de son champ opératoire : les souffrances psychiques et corporelles concernent uniquement le psychothérapeute ou le psychanalyste, tandis que la maladie organique concerne le médecin, généraliste ou spécialiste, voire le chirurgien.
Il est à noter que, dans le cas de la maladie organique, le psychothérapeute ou le psychanalyste peut également intervenir pour permettre, au moyen de l’association libre et du travail de castration symbolique qui s’opère dans la cure, que l’organisme devienne corps puis que le corps révèle le conflit intrapsychique en jeu.
Lorsqu’elle vient me rendre visite, madame D. souffre d’un « trop-plein », lié à une situation familiale complexe et une histoire amoureuse dans laquelle elle ne se sent plus heureuse mais dont elle peine à se départir. Elle entre alors en psychothérapie. Après quelques séances, elle indique avoir pris rendez-vous avec son médecin généraliste pour demander un arrêt maladie. J’interviens alors en lui demandant si elle est malade. Elle répond que non mais qu’elle a « besoin de souffler ».
Lorsque l’être fait appel au médecin pour demander un arrêt maladie alors que sa souffrance est d’ordre psychique, donc qu’elle relève de la psychothérapie et non de la médecine, il ne règle pas son affaire. Un arrêt maladie ne permettra pas de dénouer ses souffrances mais contribuera, en revanche, à nourrir la jouissance, celle que madame D. dira à demi-mot au cours de cette séance, d’obtenir vengeance vis-à-vis du conjoint insatisfaisant et du patron avec qui elle est en désaccord au travail.
Lorsque je signale à madame D. qu’elle détourne l’usage de l’arrêt maladie car ce dernier ne sert pas à souffler mais à se soigner lorsque l’organisme est atteint – ce qui, après examen, n’est pas le cas de la patiente – elle répond que, de toute façon, son médecin lui a déjà dit que si elle avait besoin de repos, elle pouvait venir le voir et qu’il lui ferait un arrêt maladie.
Lorsque le médecin répond à la demande de la patiente, s’alignant du côté de la jouissance plutôt que du désir, il ne rend pas service ni à la médecine, ni à lui-même en tant que clinicien car il se rabaisse au niveau de praticien voire de technicien. Il ne rend pas service non plus à la patiente en ne participant pas, comme sa psychothérapie tente de le faire, à la tirer vers le haut pour que d’être, elle puisse devenir être barré, voire sujet, voire sujet barré[2]. La patiente est mise dans une position d’objet par le médecin qui devrait bien plutôt travailler, dans une logique de partenariat, main dans la main avec la psychothérapeute.
Plus largement, ce double mouvement – celui de la patiente lorsqu’elle demande un arrêt maladie alors qu’elle n’est pas malade ainsi que celui du médecin qui répond à cette demande – participe à la détresse économique de notre pays.
Ainsi, si la castration symbolique a été introduite par la clinicienne durant la séance, l’être en a décidé autrement : madame D. manquera le rendez-vous suivant puis ne donnera plus de nouvelles. Bien évidemment, la clinicienne se tient à sa disposition car, si l’être s’éveille à sa responsabilité, vis-à-vis de lui-même d’abord, mais aussi à l’égard des autres et de la société, alors un travail psychothérapeutique, voire psychanalytique, pourra être possible.
[1] Amorim (de), F. Tentative d’une clinique psychanalytique avec les malades et les patients de médecine, Paris, RPH, 2008.

[2] Amorim (de), F. À propos du sujet, 2021, https://www.fernandodeamorim.com/details-a+propos+du+sujet-708.html