Lorsque monsieur C. vient me rendre visite pour la première fois, il souffre d’être « traversé par beaucoup d’émotions ». Il parle de sa tristesse qu’il associe à sa peur de ce qu’il est : un homme « dans l’attente », qui a « mis [s]a vie en suspens, pensant que c’était le meilleur moyen de [s]e protéger ». Après quelques séances, il évoque des pensées suicidaires : il envisage de provoquer un accident de voiture ou de se pendre.
Au RPH-École de psychanalyse, dans le cas de pensées de suicide, nous utilisons la technique de l’évitement du passage à l’acte élaborée par le docteur Fernando de Amorim, psychanalyste. Cette technique désigne l’intervention du clinicien qui, en position de grand Autre barré prime (en bas à droite du schéma), pose au Moi (représenté par le a sur le schéma) la question suivante : « Y-a-t-il de la haine là ? ». Si le Moi répond que oui, alors la voie des associations libres est proposée.
À cette question, monsieur C. répond : « Non, je crois pas. Je réfléchis juste au moyen le plus simple d’arrêter mes souffrances. J’explore toutes les possibilités. » Ici, la dénégation du patient – négation d’une réalité psychique – autorise le clinicien à s’adresser directement aux organisations intramoïques : « Il y a de la haine là ! »
Les organisations intramoïques est le nom proposé par Amorim pour désigner la résistance du Surmoi freudienne (points verts au centre du schéma) et le grand Autre non barré lacanien (A en vert au centre du schéma). La résistance du Surmoi « est issue d’un sentiment de culpabilité inconscient et d’un besoin de punition accablant le Moi »[1]. Elle « prend la forme d’agressivité envers soi-même ou autrui »[2] (malveillance, tentative de suicide, meurtre, etc.). Le grand Autre non barré est « le grand Autre de l’injonction, la figure féroce et obscène »[3]. Il prend la forme de pensées ou paroles méchantes envers soi-même ou autrui.
C’est lors d’une autre séance que la clinicienne intervient lorsque monsieur C. évoque de nouveau ses scénarios suicidaires : « Il y a de la haine là ! » Mais monsieur C. persiste : « Non, pas de haine, pas de colère, pas d’agressivité. C’est inquiétant de pas avoir d’agressivité ? Je suis comme je suis. »
Si monsieur C. ne saisit pas d’emblée l’invitation qui lui est faite de se tourner vers ses organisations intramoïques, quelques séances plus tard, il revient sur les interventions de la clinicienne : « À chaque fois, vous parlez de haine mais est-ce que c’est normal de, enfin est-ce que je refuse d’en avoir ? (…) J’en ai forcément eu mais j’en ai plus. Enfin, j’ai de la haine contre moi. » La clinicienne lui propose alors d’associer librement cette haine. Il dit : « Il y a 10 ans, je me mettais des coups dans la tête. Encore quelque chose que j’avais dû oublier. Après, il m’est arrivé deux, trois fois de taper dans une porte. J’avais fait une erreur au travail. Il m’est arrivé aussi de taper dans un ordinateur. Alors, oui, c’est de la haine. » Les semaines suivantes, il continuera d’associer librement sa haine.
Plus récemment, à partir de cette voie ouverte, monsieur C., surpris, fait un pas de plus : « Je vais dire quelque chose que peut-être j’ai jamais dit. Je déteste ma mère. » C’est ainsi que, derrière la haine à son égard, s’en trouve une autre, celle pour son premier objet d’amour. Les séances qui suivent ont été, pour monsieur C., l’occasion d’explorer les raisons de cette détestation qui, bien qu’infantile, continue d’entraîner des répercussions dans sa vie, notamment affective.
C’est grâce à la technique d’évitement du passage à l’acte, qu’il n’y a à ce jour aucun cas de suicide au sein du RPH. Et cela depuis 1991, date de création de la première Consultation Publique de Psychanalyse (CPP).
Ce qui produit le suicide, c’est lorsque le Moi se trouve tellement coincé par la pression qu’exercent sur lui les organisations intramoïques qu’il ne voit pas d’autre issue que se jeter ou mettre un terme à sa souffrance psychique. La technique d’évitement du passage à l’acte permet un retournement vers la résistance du Surmoi et le grand Autre non barré. Cette opération a pour conséquence le dégonflement de la pression exercée sur le Moi par ceux-ci. Cette technique entraîne un apaisement de la puissance des organisations intramoïques vers le Moi.  À son tour, le Moi se trouve apaisé, grâce à l’échappatoire de l’association libre, d’autant de pression.
En parallèle, la mise en place de la technique de l’écarteur permet de continuer à apaiser la pression. Cette autre technique consiste à « inviter le patient ou le psychanalysant à revenir faire une voire plusieurs séances dans la semaine (technique de l’écarteur horizontale) ou dans la même journée (technique de l’écarteur verticale) »[4].
La semaine dernière, monsieur C. a arrêté, avec l’accord du médecin prescripteur, son traitement médicamenteux. Il ne présente plus d’idées suicidaires mais poursuit le travail d’association libre au sujet de sa haine.
[1] Amorim (de), F. (Dir). Manuel clinique de psychanalyse, Paris, RPH Éditions, 2023, p. 259.
[2] Ibid.
[3] Ibid., p. 250.
[4] Ibid., p. 260.